La traduction juridique occupe une place stratégique dans les échanges internationaux et ne doit pas être prise à la légère. Elle implique la manipulation de documents à forte valeur juridique, économique et humaine : contrats, actes notariés, décisions judiciaires ou encore rapports de conformité. La précision linguistique est certes essentielle, mais un autre impératif l’est tout autant : la confidentialité.
Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, le domaine de la traduction s’est transformé. Si elle promet efficacité et gain de temps, elle soulève aussi des risques majeurs en matière de protection des données. Dans un secteur aussi sensible que le droit, l’usage de ces nouvelles technologies doit donc être encadré.
Traduction juridique et confidentialité : une exigence absolue
La traduction juridique est soumise à un impératif de discrétion totale. En effet, les documents concernés peuvent contenir :
- des informations personnelles (état civil, données financières,
- antécédents médicaux ou renseignements familiaux) ;
- des clauses contractuelles confidentielles ;
- des stratégies juridiques ou économiques ;
- des éléments liés à des enquêtes ou contentieux en cours.
La moindre fuite peut entraîner des conséquences irréversibles : atteinte à la vie privée, violation du secret professionnel, préjudice commercial, ou encore responsabilité juridique du prestataire. Bien au-delà d’une exigence déontologique, la confidentialité est une obligation légale, inscrite dans les contrats ou imposée par le droit (RGPD, secret des affaires, déontologie des professions réglementées). Les professionnels du droit ont le devoir d’assurer la confidentialité des dossiers, y compris lors de l’utilisation d’outils de traduction !
L’essor de l’IA dans la traduction juridique
L’intelligence artificielle a connu des progrès fulgurants en seulement quelques années, notamment avec l’émergence des modèles de langage de grande taille (LLM). Des outils généralistes, comme ChatGPT, DeepL Write, Google Translate, ou encore des plateformes spécialisées dans le domaine juridique, comme Ordalie, exploitent ces technologies pour produire des traductions rapides et de qualité. L’IA est aujourd’hui utilisée pour :
- produire une première traduction des documents volumineux ;
- traduire des documents classiques (conditions générales de vente) ;
- générer des résumés automatiques ;
- faciliter la révision de textes ;
- proposer une assistance terminologique ou stylistique.
Certaines solutions d’intelligence artificielle, telles que GenIA-L ou Ordalie, ont été conçues pour répondre aux exigences du secteur juridique. Elles sont capables de traiter une grande variété de documents, allant des contrats et décisions de justice aux actes notariés. Leur adoption séduit un nombre croissant de professionnels du droit, à l’instar de Fabien Bernier, directeur général de Legal 230 à Paris, qui en défend l’usage. Leur utilisation reste pertinente, à condition de savoir comment aborder une traduction juridique avec l’IA.
Quels sont les risques pour la confidentialité des données ?
Les dangers pour la confidentialité des données lors de l’utilisation de l’IA sont nombreux. Zoom sur les risques en question.
Fuites de données
Le risque principal réside dans le manque de maîtrise des flux de données. Lorsque l’on soumet un document à une IA en ligne, on ignore souvent :
- où les données sont traitées ;
- qui peut y accéder ;
- combien de temps elles sont conservées.
Ces systèmes fonctionnent en envoyant les données sur des serveurs distants, parfois situés hors de l’Union européenne, où elles peuvent être stockées, analysées, voire utilisées pour entraîner les modèles. Cette réalité rend la vigilance indispensable ! Dans le cas d’outils gratuits ou ouverts, les conditions d’utilisation précisent souvent que les données peuvent être enregistrées pour améliorer le service. Une clause anodine pour un utilisateur non averti, mais inacceptable dans le cadre d’une traduction juridique.
Traçabilité inexistante
Les modèles d’intelligence artificielle, en particulier les LLM, fonctionnent selon une logique dite de « boîte noire » : leur fonctionnement interne est flou, ce qui complique la compréhension du traitement des données. En cas de fuite d’informations ou de litige, cette absence de traçabilité rend la gestion des risques plus complexe. Certains outils de Natural Language Processing (NLP) comme DeepL ou Google Traduction proposent des versions professionnelles intégrant des garanties de sécurité accrues, notamment en matière de confidentialité des données.
Violations réglementaires
L’utilisation non encadrée de l’IA dans la traduction juridique peut conduire à des violations du RGPD, du secret professionnel ou du secret des affaires. Dans certains cas, la responsabilité civile ou pénale du prestataire peut être engagée.
À lire également : Déléguer les traductions juridiques à l’IA : quels sont les risques ?
Comment concilier IA et confidentialité dans la traduction juridique ?
L’IA ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme un outil à encadrer. Pour bénéficier de ses atouts tout en protégeant les données sensibles, plusieurs bonnes pratiques s’imposent.
Utiliser l’IA comme un assistant
L’IA peut être un allié précieux pour accélérer certaines tâches : prétraduction, détection d’incohérences, enrichissement lexical, harmonisation stylistique. Mais elle ne doit jamais remplacer l’intervention humaine dans des domaines aussi sensibles que le droit. La supervision d’un traducteur juridique expérimenté reste indispensable. Il est préférable de voir l’IA comme un assistant très efficace, mais derrière lequel il faut toujours effectuer une relecture.
Privilégier les outils sécurisés et conformes
Avant de se lancer dans une traduction juridique assistée par l’IA, il faut choisir des solutions :
- qui garantissent la non-réutilisation des données ;
- qui proposent des traitements localisés dans l’UE ;
- qui disposent de certifications de sécurité (ISO, SOC, etc.) ;
- dont les conditions d’utilisation sont claires et transparentes.
Certains cabinets ont même mis en place des chartes pour veiller à la bonne utilisation de l’intelligence artificielle.
Le modèle hybride : traducteur + IA
La meilleure réponse aux défis posés par l’IA réside dans une approche hybride et éthique. L’objectif n’est pas de choisir entre l’humain et la machine, mais de créer une synergie ingénieuse.
L’intelligence artificielle offre plusieurs atouts lorsqu’elle est utilisée de manière encadrée dans le processus de traduction. Elle permet notamment d’accélérer les tâches chronophages, de proposer des suggestions terminologiques pertinentes et d’améliorer la productivité globale, sans pour autant sacrifier la qualité du travail.
Cependant, l’IA ne peut se substituer à l’habileté humaine. Le traducteur professionnel joue un rôle inéluctable pour éviter les erreurs de traduction. Il apporte une compréhension fine du contexte juridique, la capacité d’identifier les ambiguïtés, ainsi qu’une expertise terminologique approfondie. En combinant les deux, on obtient une traduction plus rapide, plus fiable et plus sécurisée.
L’IA améliore la traduction juridique, mais sa fiabilité dépend d’un usage encadré, éthique et humain. Une utilisation laxiste des dernières technologies peut non seulement nuire à la précision, mais aussi compromettre la confidentialité. Faire appel à un professionnel reste la meilleure solution pour assurer une traduction de qualité, sécurisée et conforme aux exigences juridiques.